Chapitre III - Lapie Chutelibre
Je marchais depuis une bonne heure, dos au grand rampart, lorsque me parvint aux oreilles ce que je reconnu comme l'un des chants traditionnels moniaux. J'avais passé trop de temps à l'abbaye dans mon enfance pour ignorer la signification et l'utilité de chacun. Celui ci parlait de la grandeur de Dwayna et de son amour comme d'une force protectrice, il réchauffait les coeurs. Si ces chants pouvaient servir à communiquer d'un village à un autre une idée importante comme un danger ou une victoire, ils faisaient également office d'arme ou bouclier spirituel pour les moines. Ils leurs donnaient la force de combattre et renforcaient leur foi. Celui ci indiquait, d'après l'expérience que j'en avais, qu'un groupe avait du partir en quête ou en combat et que ceux restés priaient pour leur retour prochain.
Lorsque j'arrivai au niveau du sanatorium - nouveau nom de l'abbaye comme me l'avait appris l'officier supérieur avant que nous ne nous séparions en arrivant de ce côté ci du mur - je pus constater que les environs étaient envahis de gargouilles : sans doute s'étaient elles enfuies lorsque les catacombes s'étaient effondrées. Il n'y avait cependant pas de quoi s'inquiéter car s'il était une chose qu'elles respectaient, c'étaient bien les nécromants.
A mesure que j'approchais, celles ci s'écartaient naturellement sans même un regard... en revanche, les hommes de l'auditorium eux me fixaient intensément... étant donné la distance qui nous séparait, il leur était difficile de dicerner les traits de mon visage, mais le signe qu'ils voyaient là était bien suffisant pour se faire une idée de ma personne. Les gargouilles me trahissaient.
Un nécromant : ils n'avaient pas besoin d'en savoir davantage pour deviner qu'un danger approchait. Et ils avaient raison car j'étais venue ici pour tuer un homme : Grazden, le protecteur.
De plus en plus proche, je l'aperçu au milieu de la cour se retourner alors rapidement vers moi, je l'avais reconnu à sa taille imposante et sa façon particulière qu'il avait de se mouvoir. Attiré par les chucotements appeurés des disciples, il avait compri le danger avant même de savoir qui j'étais. Saisissant son bâton qu'il avait du poser contre un bloc de pierre, il courut au dehors de l'abbaye mais pas à ma rencontre. Il devait vouloir m'éloigner des apprentis... sage précaution si je n'étais pas venue ici dans un but précis.
Courant après lui, j'entendis alors le chant se transformer : ils appelaient à l'aide. Ce chant ci était plus grave, plus puissant, de plus longue portée et même les disciples chantaient maintenant avec leurs maîtres. Je ne savais pas qui ils appelaient, mais cela ne me laissait que peu de temps.
Il s'arrêta au sommet d'une colline et moi à une dizaine de mètres de lui.
_Je ne sais ce qui vous amène en ces terres, fille de Grenth, mais la mort seule vous y attendra ! Vous n'êtes pas la bienvenue ici ! Ni vous ni aucun des vôtres ! Laissez nos moines et passez votre chemin ! hurla t -il à mon intention en plantant son baton dans la terre.
_Je ne veux pas vos moines. Ni leurs vies ni leur âme. Je vous veux, VOUS ! crachais-je.
Intrigué puis inquiet, il sembla faire un effort de mémoire intense pour tenter de comprendre d'où venait cette haine que je lui vouais mais sans plus de résultat. N'ayant vraiment pas la patience d'attendre qu'il se souvienne, je m'élançai vers lui, Agonie en main, lorsqu'un éclair bleu me heurta et me fit perdre l'équilibre. Tout en me redressant rapidement, je le vis en posture de combat, mais l'attaque ne venait pas de lui : il attendait, prêt à se défendre. Je n'eus pas a chercher qui, car ils arrivèrent aussi rapidement que cet éclair, se postant devant Grazden : le groupe de moines pour lequel priaient les autres avant que je n'arrive.
_Une nécromante... ,souffla l un d'eux. Il y a si longtemps que nous n'en avons plus vu par ici, mon frère... pourquoi ne pas la capturer, elle constituerait un bon sujet d'expérience... , continua t-il.
_Silence, coupa Menlho.
Il m'observait, sur ses gardes, à l'affut du moindre signe qui aurait pu trahir une soudaine attaque de ma part. J'aurais du me douter qu'il ne pouvait être bien loin. L'abbaye avait été toute sa vie et il aurait été étonnant qu'il l'abandonne, même détruite.
_Cela fait fort longtemps Maître, repris-je, amusée de voir les autres choqués à l'idée que leur frère le plus éminent puisse avoir quelque lien que ce soit avec une créature telle que moi.
Quelques minutes de profond silence passèrent, minutes durant lesquelles lui et moi nous nous jaugeâmes mentalement.
Le calme fut rompu soudainement par Grazden qui poussa un cri mêlant effroi et révélation. Tous lui lancèrent un regard d'incompréhension à l'exception de Menlho.
Ma cible fit un pas en arrière, son doigt pointé vers moi :
_Menlho...c'est...c'est... ELLE ! Et dire que je m'apprêtais à l'affronter seul... Quel fou j'ai été... Par Dwayna, c'est une chance que tu sois arrivé si vite...
_Oui, c'est elle... et comme tu le dis si bien, c'est une chance qu'elle soit arrivée alors que nous étions sur le chemin du retour...
Les autres semblaient toujours ne pas saisir.
_Kira Daemon, pour le tuer. lançais-je en ricanant. Mimant une révérence, je désignai le protecteur d'un bref coup d'oeil.
Cela m'amusa beaucoup de le voir les rappeler à l'ordre lorsqu'ils paniquèrent.
_Cessez de trembler. Elle n'attaquera pas tant que nous serons ensembles. Elle n'est pas suicidaire. Elle ne tentera pas un combat si dangereux juste pour une vie à prendre.
_Menlho ne sera pas toujours là pour te défendre Grazden ! grognais-je à son intention. C'est la deuxième fois qu'il te sauve la vie, mais cela ne durera pas, j'en fais le serment...
_Passe ton chemin, Kira. Nous savons tous deux ce qu'il résulterait d'un tél combat..., dit-il alors, le regard posé sur moi.
Il se redressa, l'air solennel, son bâton toujours fermement tenu dans sa main droite.
Impuissante devant la force de mon ancien maître et des autres moines réunis, je tirai une dague de ma ceinture et la lançai sur le protecteur tandis que je fis volte face, plus rapide que jamais, avant de fuir vers Ascalon.
Je savais que Menlho avait arrêté la dague de même que je savais qu'il ne m'aurait pas poursuivie ou attaquée par derrière : cela n'était que pure précaution ou cas où ses convictions aient quelque peu évolué avec le temps.
Dans mon dos, Ashford chanta une nouvelle chanson, plus forte de cinq voix : la chanson du danger raisonna dans les plaines environnantes. C'était certain, Ascalon saurait mon retour.
Très peu de temps après j'atteignis l'arrière d'une petite colone de villageois - apparemment tous paysans - passant les portes de la ville pour aller se réfugier à l'intérieur. L'alarme avait été donnée et la cité allait fermer ses portes face au danger d'origine inconnue.
Les gens murmuraient ça et là dans la colone :
_Vous penssez que des Charrs sont arrivés de ce côté ci du rampart ? demanda quelqu'un.
_Et le sanatorium ? L'ont ils évacué ? coupa un autre.
Tête baissée, tentant de me fondre dans le groupe, j'avançai à leur rythme lorsque je la vis : juchée sur la muraille, elle regardait au loin et donnait des ordres à quelques gardes environnants. Lapie surveillait l'horizon, scrutant intensément lorsque son regard se détourna pour observer les réfugiers m'entourant et croisa le mien. L'expression de son visage se figea aussi rapidement que la vie se retire d'un corps dont on a transpercé le coeur à coup d'épée. Pour la première fois, je fus méfiante à son égard : elle avait comprit que j'étais le danger et je me demandais si elle me trahirait lorsque tout a coup elle disparut de son observatoire. J'attendis, tendue, à mesure que nous avancions, que la garde m'attaque.
Rien.
Les portes se refermèrent derrière nous et aucun combat ne fut provoqué par la garnison. Je suivais toujours les autres lorsqu'elle vint se planter devant moi :
_Suis moi. Il veut te voir, m'ordonna t-elle sans autre mot de salutation.
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Dédicace de ce chapitre à Sergei Luftwaffe, Ivy Poisona, Meo Le Guerrier, Malekith Naggarond et Badoun Ultima.