[GDMT] une journée à l'abbaye

Un ciel couleur d’encre surplombait l’abbaye. Nul mouvement, nul bruit. Un silence pesant comme on n’en n’avait pas connu depuis l’attentat perpétré contre Maelin.
Deux ombres approchaient de l’abbaye, d’une démarche pesante, mal assurée. L’une semblait supporter l’autre avec difficulté. Toutes deux étaient couvertes d’un long capuchon, qui masquait leurs traits.

Arrivées près d’une petite porte donnant sur l’arrière de l’abbaye, l’une des ombres leva d’un geste où on devinait la plus grande lassitude le poing et frappa le bois de la porte.

Mina Bang passait dans ce couloir étroit, chantonnant un air inventé, et dont elle seule connaissait la signification. Elle se promenait sans but, le regard vidé par l’alcool qu’elle avait ingéré quelques instants plus tôt à la taverne. Quand elle entendit un bruit sourd, elle stoppa net sa marche et sa chanson. Elle attendit quelques secondes, croyant avoir inventé ce bruit qui l’avait tirée de sa rêverie. Mais bientôt, un autre coup se fit entendre, plus fort que le précédent, et Mina se dirigea vers la porte d’où provenait ce son inattendu.

Elle ouvrit la porte, et se trouva interdite devant le spectacle qui apparut devant ses yeux. Deux formes, presqu’humaines, voûtées, encapuchonnées, tenant à peine debout, et couvertes de sang, un sang humain… Une lame brilla au flanc d’une des deux formes, une hache, elle aussi couverte de sang.

Mina poussa un cri d’horreur, et s’évanouit, bloquant par là même l’entrée.
Une des formes s’accroupit alors, et prononça quelques paroles apaisantes, qui firent revenir à elle Mina.

« Qui…. Qui … qui vous êtes, vous ?

-Mina !! Mina !!! C’est moi, c’est Elora !! »

En prononçant ces quelques mots, Elora releva son capuchon, découvrant son visage aux traits tirés par la fatigue.

« Pourrais-tu nous laisser passer ? Nous sommes fatiguées, et ma jeune compagne de voyage a besoin de beaucoup de repos. Nous venons de loin *soupir* et avons traversé bien des épreuves…

-*tremblante* oui, oui, oui, bien sur… »

Mina s’écarta alors, et Elora entreprit de soulever celle qu’elle avait appelé sa jeune compagne. Celle-ci s’effondra à terre, et Elora ne parvenait pas à la soulever.

« Talinee !!!!!!!!!!! »

Mina s’enfuit en criant le nom de la jeune guerrière. La croisant, elle entreprit de lui expliquer la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux.

« Mina… Mina… je ne comprends rien ! Où sont-elles ? »

Mina lui montra d’une main tremblante la direction de la porte, et Talinee partit en courant. Arrivée près d’Elora, elle souleva sans peine la jeune fille prostrée à terre qu’Elora ne pouvait relever.

« Emmène – la dans ma chambre, Talinee. Elle a besoin de repos.

-Et toi ? Tu es couverte de sang !

-Moi… Je vous rejoins dans quelques minutes… »

Talinee emportait la jeune fille toute emmitouflée dans ses vêtements, seul son visage était visible et apparemment terriblement fatigué.

Comme prise de fureur guerrière elle grimpa douze à douze les escaliers menant à la chambre d'Elora.

En l'espace d'un souffle elle fut dans la pièce.

La jeune fille fut délicatement déposée sur la couche d'Elora.

Talinee découvrit la tête encapuchonnée de l'inconnue qui gardait les yeux écarquillés et le visage comme pétrifié.
Lorsqu'elle voulu dévêtir cette dernière de ses vêtements maculés de sang, elle se rendit compte que la jeune femme ne portait rien d'autre que la cape dans laquelle elle reposait.
Après avoir pris soin de verrouiller la porte de la chambre, Talinee pris soin de ne pas blesser la jeune fille en faisant glisser sa cape.
Découvrant ce corps meurtri, Talinee d'habitude si stoïque vit se dessiner sur son visage une expression inconnue mêlant pitié, colère et esprit de vengeance.
La jeune femme sembla vouloir montrer des signes de résistance mais le regard de Talinee l'apaisa immédiatement lui faisant comprendre qu'entre ses mains de femme elle était en sécurité.
A mesure que Talinee déshabillait tant bien que mal l'inconnue, on pouvait voir les innombrables bleus et blessures de cette pauvre enfant.
Aucune partie de son corps n'avait été épargnée-elle avait du se débattre avec tant de fureur- et quand une partie semblait immaculée par les coupures, les boursouflures, morsures et bleus trouvaient place.
C'est devant ce "spectacle" horrifiant que le pragmatisme et le sang froid de Talinee faisaient merveille. Elle nettoya les plaies de la jeune fille nue avec une attention toute particulière pensant "Mon Dieu quel gâchis !".
Talinee plaça ensuite la jeune femme sous les draps et couvertures du lit.
Pendant toute la scène, la jeune fille ne souffla pas mot et seuls les regards des deux femmes communiquaient.

Talinee muette fit un signe de tête pendant quelle s'éloignait du lit et s'en alla quitter la piece....

L’aube pointait à peine quand la jeune moniale s’éveilla. La douleur qui la veille la submergeait semblait comme volatilisée, et cela la déstabilisa tout d’abord. Ce ne fut que quand elle vit une nécromante, gisant au pied du lit, qu’elle comprit. Un léger sourire se dessina sur son jeune visage, et elle pensa être tombé dans un bien étrange endroit, mais dont les habitants lui avaient jusqu'à présent témoigné bien plus d’attentions que les autres personnes qu’elle avait rencontrées au cours de sa courte vie.

Elle se leva, s’enroulant dans le drap, et fit quelques pas en direction de la fenêtre, pour observer le lever du jour. Ce fut à ce moment que la porte de la cellule s’ouvrit, laissant entrer Elora, dont les traits trahissaient la plus grande fatigue. Elle semblait ne pas avoir dormi depuis des jours, mais sourit tout de même à son amie quand elle la vit.

Elle enjamba doucement Merenita, puis s’approcha à son tour de la fenêtre.

« Belle vue, n’est ce pas ?

-Oui, tu as raison. Comment s’appelle cet endroit ?

- Tu es à l’abbaye des moines trappistes, la maison de ma guilde. Tu y es en sécurité, tant que tu resteras en ces murs, rien ne t’arrivera, à part peut-être *jetant un œil a Merenita, ronflant encore de toute la force de ses poumons* une bonne biture !

- Tes compagnes sont étranges, pleins d’attention, certes, mais étranges… Il n’y a que des femmes, ici ?

- Non… la majorité des gens vivant ici sont des.... *fait la moue* des hommes…

- A ce propos, je n’ai pas pu te dire merci….

- Tu n’en as nul besoin, j’ai fait ce que n’importe qui aurait fait !

-*tremblante de rage* Hélas non, nombre d’hommes sont passés près de là où… je les ai entendus, mais aucun ne s’est arrêté pour me sauver. Toi seule tu as eu ce courage…

- *fronce les sourcils* Les hommes, de nos jours, ne sont plus ce qu’ils étaient … je crains fort qu’ils ne soient tous devenus des êtres sans cœur… des monstres à la vérité… *serre le poing* Comment des êtres doués de sentiments, avec un cœur, auraient pu te faire subir de telles atrocités ?

- Tu sais… Je n’ai jamais apprécié les hommes, leur rudesse, leurs manières… Nous, les femmes, avons toujours aimé notre prochain, souvent à tort…

- Et dire qu’il y a peu, c’est un homme qui dirigeait la guilde… »

Et elle continua en décrivant le mode de vie des trappistes, sa jeune amie semblant boire ses paroles.

Les jours suivirent leur cours pendant la convalescence de la jeune moniale arrivée dans des circonstances dramatiques à l’abbaye.
Elora prenait un soin tout particulier à lui faire découvrir les prés environnants, les us et coutumes trappistes, et les autres moines. Sa jeune amie, dont Elora découvrit au bout de plusieurs jours qu’elle se nommait Altinai, était encore traumatisée par l’agression dont elle avait été victime. Il avait fallu de nombreux jours avant qu’Altinai accepte de sortir de la chambre, et elle demeura muette pendant encore de longues semaines, n’adressant la parole qu’à Elora.

Par une belle matinée, et tandis que les deux jeunes filles conversaient sur la fermentation de la bière, leur route croisa celle de Kaede. Celle-ci semblait fatiguée, harassée même, mais elle fit mine de rien, et leur sourit de façon tout à fait amicale.

Elora fit les présentations de manière froide, mais courtoise, comme à son habitude en présence de sa cousine, mais Altinai semblait fascinée par la jeune rôdeuse, et elle lui posa foule de questions sur sa vie, sa venue chez les trappistes, son arrivée à la tête de l’abbaye. Elora était surprise : Altinai avait jusqu’alors refusé toute possibilité de conversation avec un des habitants de l’abbaye. Kaede, quant à elle, était amusée de la curiosité de la jeune moniale, et les récents évènements la poussaient à ne pas lui être désagréable. Elle avait une foule de soucis en tête, mais souhaitait par-dessus tout ne pas paraître impolie à leur hôte. Elle répondit donc précisément à chacune des questions qu’Altinai lui posait… Puis, elle prit congé, et se dirigea vers sa chambre, sans dire un mot aux moines qu’elle croisa.

Ce comportement, bien qu’étrange, n’éveilla chez Elora qu’un simple haussement d’épaule, et elle reprit la conversation qu’elle avait interrompue à l’apparition de sa cousine.

Les journées passèrent, les nuits défilèrent, et Altinai reprenait peu à peu goût à la vie, même si la présence d’hommes continuait à la mettre à la torture… Elora redoublait d’attentions pour son amie, les faisant déjeuner a des horaires décalés, afin qu’elles soient seules à la taverne.
C’est alors qu’elle déjeunait avec Elora à la taverne, à une table bien à l’écart des autres, que son regard croisa celui de Merenita. Elle reconnut la nécromante qui avait fait usage de sa magie contre ses blessures, mais n’avait pas eu encore l’occasion de la remercier. Ce jour-là, contrairement à leurs habitudes, elles étaient parties déjeuner à une heure tardive, et nombre de moines avaient fait leur apparition à la taverne pendant qu’elles se restauraient. Observant les autres personnes présentes à la taverne, Altinai ressentit les prémices d’un malaise. Elle engagea alors une lutte intérieure entre son désir de remercier celle qui avait tant fait pour elle et sa peur indescriptible à l’idée de se lever et de s’avancer vers Merenita, qui plus est sans l’aide d’Elora.

Altinai se dégagea de Mina, et se réfugia derrière Elora. Elle semblait terrorisée…
Mina paraissait ne pas comprendre ce qui se passait dans la tête d’Altinai, elle voulait bien faire, et ne saisissait pas que son geste avait en fait réveillé le souvenir ô combien douloureux de son agression.

Elora, elle, avait compris la détresse dans laquelle se trouvait son amie, et elle entreprit de la faire sortir de la taverne, non sans jeter un regard plein de sous entendus vers Mina.

Une fois dehors, Altinai accepta de lâcher Elora, et eut un timide sourire.

« Altinai, Mina t’a fait peur, n’est-ce pas ? »

Altinai répondit d’un hochement de tête affirmatif.
Soudain, Elora crut distinguer un bruissement dans un buisson proche. Elle prit en main sa hache, et s’approcha du végétal. Ce qu’elle y vit lui parut surréaliste, incroyable. Kaede se tenait là, à genoux, pâle comme la mort. Un sursaut la submergea soudain, et elle vomit. Elle resta prostrée sur le sol de longues minutes, avant de se lever avec difficulté, puis se tourna vers une Elora stupéfaite.

« Elora… Ne dis rien à personne, s’il te plait… »

Elle fit le tour du buisson, et se retrouva sur le chemin qu’empruntaient quelques minutes auparavant Elora et Altinai. Elle prit une profonde inspiration, et adressa un sourire, qu’elle voulut résolu mais qui trahissait son état de grande lassitude à la jeune moniale.

« Je suppose que vous quittiez la taverne pour rejoindre l’abbaye ? Me permettez-vous de faire quelques pas avec vous ? »

Kaede accompagna alors les deux jeunes filles, et les écouta bavarder de choses et d’autres. L’incident dans la taverne semblait occulté, et Kaede n’en entendit pas un mot. Elle paraissait cependant dans un état plus qu’inquiétant, et Altinai jeta à de multiples reprises des coups d’œil en direction de la rôdeuse, tentant de discerner quel mal la rongeait.

Soudain, Kaede s’arrêta net. Ses deux compagnes ne s’en rendirent compte que quelques secondes plus tard, et quand elles se retournèrent, elles virent Kaede allongée au sol, évanouie.
Elora se précipita, suivie de près par Altinai, qui s’agenouilla auprès de Kaede, et utilisa ses connaissances de moniale pour la faire revenir à elle.
Au bout de quelques secondes, Kaede rouvrit les yeux, mais restait allongée, incapable du moindre mouvement. Elora la souleva alors, et, la soutenant, prit le chemin de l’abbaye.

« Je vais l’allonger dans sa chambre. »

Altinai la suivit, une étrange expression collée sur le visage.

Un midi, Elora, Altinai et Kaede déjeunaient ensemble à la taverne. Il y régnait un joyeux désordre, les moines présents conversaient beaucoup et faisaient bruyamment s’entrechoquer leurs pintes.

Toute cette agitation mettait Altinai mal à l’aise, mais Elora lui avait demandé comme une faveur de pouvoir sortir en même temps que les autres, et donc profiter quelque peu du spectacle d’un déjeuner trappiste. La jeune moniale conservait cependant cet air apeuré qu’elle présentait perpétuellement devant les autres trappistes, mais qu’elle abandonnait sitôt qu’elle était seule avec Elora. Une relation très particulière s’était instaurée entre les deux jeunes filles.

Kaede sortait ce jour là pour la première fois depuis qu’Elora l’avait surprise en plein malaise dans un buisson proche de l’abbaye. Elle était très pâle, mais tentait de faire bonne figure, adressant quelques timides sourires aux moines dont elle croisait le regard.

Quand Joan s’approcha de la tablée, et posa un plat de panses de brebis farcies, Altinai et Kaede ne purent réprimer de concert un hoquet de dégoût, la rôdeuse sursautant, renversant le banc sur lequel elle s’était assise, et s’étala de tout son long sur le sol.
Malgré un effort surhumain de se retenir, Kaede ne put retenir très longtemps sa nausée, et commença à vomir sur les sandales du moine assis non loin d’elle.
Joan, à la vue de ce spectacle, souleva Kaede du sol, la prit dans ses bras, et la mena vers les commodités. Là, il la laissa seule, puis retourna vaquer à ses occupations, après s’être assuré qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux là où elle se trouvait.

Altinai la rejoignit au bout de quelques minutes. Bien que très pâle, Altinai semblait se porter à merveille, et une lueur intense brillait au fond de ses yeux. Il n’en était pas de même pour Kaede, dont le visage paraissait creusé par la fatigue, elle semblait n’avoir ni dormi ni mangé depuis des jours.

Elle sortit de la pièce, retourna dans la taverne, et rejoignit Elora. Elles échangèrent quelques mots, puis la guerrière suivit son amie, s’éclipsa quelques minutes, et réapparut portant sur son dos Kaede, évanouie.

Un silence total se fit dans la taverne, et chaque moine retint son souffle le temps que le curieux cortège passe…

La nuit suivante, Elora fut réveillée en sursaut par des cris, des hurlements d’effroi.
Elle sauta de son lit, et empoigna de suite sa hache, avant de se rendre compte que les cris étaient poussés par Altinai, en plein cauchemar.

Elle reposa son arme, et s’approcha de son amie. Elle alluma toutes les lumières possibles dans la chambre, et observa la jeune moniale. Elle était en sueur, et semblait la proie de la plus inextinguible des angoisses. Ses yeux étaient révulsés par la peur, elle paraissait éveillée mais inconsciente, comme victime d’une hallucination. Elle hurlait, semblait-il contre ceux qui l’avaient agressés, elle se débattait contre des ennemis invisibles, murmurait des phrases décousues, dénuées de sens pour Elora… La jeune guerrière tentait de saisir certains des mots qu’Altinai prononçait, mais elle n’en pouvait définir le sens. Plusieurs fois, les mots « souillure », « honte » revenaient, et Altinai ne semblait pas en mesure de sortir de cette transe.

Elora s’allongea alors dans le lit, et tint fermement son amie dans ses bras, tentant par ce geste de la rassurer et de la calmer. Au bout d’un moment qui parut une éternité à la guerrière, son amie s’endormit enfin. Elora sentait ses muscles douloureux, la transe qui habitait à l’instant Altinai semblait décupler ses forces, et la guerrière avait eu toutes les peines du monde pour la retenir.

Quand elle s’endormit enfin, Elora tourna la tête vers son lit, et jeta un œil à sa hache, posée contre le sommier. Pendant un très bref instant, il lui sembla que la lame brillait encore du sang des agresseurs d’Altinai.

Le surlendemain matin, Styx préparait pour la énième fois son départ de l’abbaye. Son sac en bandoulière, elle quitta en faisant le moins de bruit possible l’abbaye. Une fois le portail franchi, elle se redressa, sourit, et commença à marcher d’un pas rapide et décidé. Il était très tôt, le jour ne pointait pas encore, et elle allait enfin faire sa vie, montrer à tous ceux qui la prenaient pour une enfant qu’elle était capable de s’assumer seule.
Le silence qui l’entourait ne la gênait pas, elle y voyait plutôt la déférence de la nature envers son courage et sa détermination.
Passant près d’une rivière qui coulait non loin de l’abbaye, elle entendit des bruits, différents du simple clapotis de l’onde. Quelqu’un était là, tout près d’elle. N’écoutant que son courage, elle brandit sa badine et commença à ébaucher un sort, tout en avançant vers le lieu d’où provenaient les bruits. Elle stoppa net son incantation, quand elle reconnu une odeur ô combien familière. Son sang de nécromante ne fit qu’un tour quand elle vit une personne agenouillée près de la rivière, occupée à nettoyer avec énergie une étoffe, un drap semblait-il.

La personne agenouillée frottait de toutes ses forces le drap, pour en faire disparaître une tâche, une de ces tâches qu’une nécromante, même aussi jeune que Styx, ne pouvait pas ne pas reconnaître. Styx se concentra, et ce qu’elle crut déceler la laissa sans voix. C’était du sang, du sang humain, en grande quantité…

Ce qu’elle crut comprendre la glaça d’effroi, et elle détourna le regard du drap. Ce qu’elle vit ne la rassura pas davantage. Non loin de la personne qui nettoyait le drap, se trouvait une arme, brillante sous la lune. Une hache.

Kaede se réveilla un jour de plus avec la nausée…

« Il fallait que ça m’arrive maintenant… Bien joué, petite Kadette, bien joué ! Allez, debout, doucement, pour pas que… »

Sitôt le pied posé hors du lit, elle se précipita vers les toilettes et vomit. Des larmes s’échappèrent de ses yeux, mais elle se reprit bien vite.
Elle se prépara puis sortit de la chambre, et se dirigea vers celle partagée par Elora et Altinai. Elle frappa à la porte.

« Altinai, Elora, vous êtes décentes ?»

Kaede entra dans la chambre, et y resta un long moment. Quand elle en ressortit, elle semblait ragaillardie, son visage avait repris ses couleurs habituelles, et elle souriait.

Dans la chambre, dès que Kaede fut sortie, Elora et Altinai se regardèrent, et sourirent.

La nuit suivante, Kaede fit un cauchemar, dont l’horreur la rendait incapable de hurler. Elle se réveilla en sursaut, une incommensurable douleur lui déchirait les entrailles, ses draps étaient tâchés de sang, elle souffrait plus qu’on ne pouvait le décrire. Elle s’extirpa du lit, et chaque geste lui arrachait un râle de douleur. Elle serra les dents, et fit quelques pas vers la porte.
Elle s’agrippa à la poignée, le temps de prendre une profonde inspiration, puis ouvrit la porte. Semi inconsciente, elle erra dans le couloir, mi-marchant, mi-rampant, accrochée au mur, jusqu'à la première porte qu’elle rencontra. Elle tambourina, cria, espérant en réveiller l’occupante. Quand la porte s’ouvrit, Kaede regarda la moniale

« Je ….. je suis en train de le perdre. »

Et elle s’évanouit, devant une Lila stupéfaite.

Des coups et des cris répétés réveillèrent brusquement Lila. A moitié endormie et la bouche encore pâteuse dûe aux quelques litres de bières bus la veille, il fallu plusieurs secondes à la jeune femme pour se rendre compte que c'était à sa propre porte qu'on frappait. Se levant aussi prestement que possible elle ouvrit la porte de sa chambre, non sans une pointe d'inquiétude.

La vue de Kaede, livide, l'extirpa des limbes du sommeil. Lila l'entendit prononcer quelques paroles dans un souffle avant que la rodeuse ne s'effondre devant elle :

"Je ... je suis en train de le perdre."

Rattrapant Kaede dans ses bras, Lila la porta sur le lit afin de l'examiner attentivement.
La chemise de nuit de Kaede était tachée de sang au niveau de l'entre-jambes. Imposant les mains sur le corps inerte, Lila incanta un sort afin de déterminer si un maléfice ne la frappait pas.

"Une douleur fantôme !"

s'écria la moniale. Après avoir annulé le maléfice, Lila recouvrit Kaede d'un voile sacrée pour la prémunir d'une attaque ultérieure.
Continuant son examen Lila ressentit alors un léger picottement dans la paume alors que ses mains approchaient du bas-ventre de Kaede.

"Je ne crois pas.", pensa Lila à haute voix. "C'est plutôt pour toi que je m'inquiète."

La nuit suivante fut particulièrement éprouvante pour Kaede. Les soins prodigués par Lila avaient certes fait leur effet pour calmer sa douleur physique, mais son esprit était torturé. Elle passait tour à tour du sommeil le plus profond au délire le plus impressionnant, pleurant, murmurant des paroles dénuées de sens.
Au matin, Lila entra dans sa chambre, et s’assit sur son lit, voulant s’assurer du début de rémission de la rôdeuse.
Kaede avait perdu toutes ses couleurs, et son visage reflétait la plus grande lassitude. Quand elle ouvrit les yeux, elle fixa Lila.

« Lila… est-ce que…

-Chut… Repose toi… J’ai fait en sorte qu’il ne lui arrive rien. Ne t’inquiète pas… »

Kaede tenta de se redresser, mais Lila l’arrêta d’un geste.

« Tu dois te reposer, essaie de te calmer.

-Lila, écoute moi… Avec ce qu’il vient de se passer, je ne peux pas m’occuper de l’abbaye. Il faut que je passe le relais à quelqu’un d’autre. Et j’ai décidé que ça sera toi. Ne fais pas cette tête là, tu sais très bien que tu es la plus à même de faire en sorte que tout aille au mieux dans l’abbaye, bien mieux que moi d’ailleurs. Tu ne refuseras pas, car tu sais très bien que j’ai raison.

-Bien… Je tâcherai de faire au mieux. Tu as l’air de bien aller, je vais aller parler un peu avec Joan, je ne pense pas que tu seras seule ici bien longtemps. La nouvelle de ton « malaise » a fait le tour de l’abbaye, et je ne serais pas surprise de voir quelques trappistes venir s’assurer que tu te remets doucement. »

Kaede hocha la tête en signe, et sourit.

Altinai passait dans le couloir quand Lila sortit de la chambre de Kaede. Voyant cette trappiste qu’elle ne connaissait pas, elle se cacha dans un coin de mur, et attendit que Lila soit passée pour sortir de sa cachette, et rejoindre au plus vite la chambre de Kaede. Une fois entrée, elle sourit à la jeune rôdeuse et s’assit sur le rebord du lit. Elle prit la main de Kaede, et resta là, observant la malade, retombée dans le sommeil, pendant un long moment, avant de ressortir de la chambre. S’assurant que le couloir était désert, elle se dirigea vers la chambre qu’elle partageait avec Elora, son regard reflétant la lutte acharnée que ses sentiments menaient en elle.

Les nuits se succédèrent au chevet de Kaede. Chaque nuit, elle recevait la même visite, toujours à la même heure, toujours pour autant de temps. Une heure, quand les derniers coups de minuit avaient sonné, on entrait dans sa chambre. Elle reconnaissait entre tous le contact de cette jeune main blanche et fraîche sur son front, elle était reconnaissante qu’enfin sa jeune sœur vienne lui rendre visite, après tant d’années de silence. A aucun moment, le caractère surnaturel de ces visites ne l’avait effleurée, et elle se surprenait désormais à attendre l’heure dite pour la voir.
Un soir, Sara lui parla. Cela déconcerta Kaede, qui avait l’habitude que sa visiteuse ne lui parle pas, mais se contente de rester là, auprès d’elle, silencieuse et apaisante.

« Je t’ai observée aujourd’hui. Tu es toujours seule, personne ne vient te rendre visite…
- Ils sont tous très occupés. L’abbaye est secouée par des remous divers.
- En es-tu sûre ? Et si tout cela n’était que le résultat de ce que tous t’ont abandonné ? Regarde où se trouve ta chambre, au fin fond d’un couloir ! Personne ne passe par ici, jamais. Ils t’ont abandonnée. Ils se fichent éperdument de ce qui peut t’arriver…
- Non, ce n’est pas possible….
- Réfléchis-y, ma sœur. Réfléchis-y bien. Tout ce qui t’est arrivé ne t’est pas arrivé pour rien. »

Puis, elle se leva, et quitta la pièce, laissant Kaede en proie au désespoir.