La porte s’ouvre doucement. Une silhouette encapuchonnée se glisse dans l’embrasure de la porte et pénètre à l’intérieur de la taverne. D’un pas pesant, elle se dirige vers une table libre un peu à l’écart et tombe lourdement sur la chaise à côté en poussant un profond soupir.
L’atmosphère de la taverne est enfumée et bruyante. En effet, des aventuriers venus de toute la Tyrie sont réunis là pour festoyer, discuter ou encore se reposer en dégustant une de ces fameuses bières brassées par les nains des Cimefroides ou un quelconque breuvage. Un groupe de guerriers se presse contre le bar recouvert de récipients en tous genres. Leurs visages rubiconds sont éclairés de sourires grivois. Ils parlent bruyamment, faisant tinter leurs chopes pour célébrer, certainement, un de leurs exploits. L’aubergiste remplit des pichets que ses employés servent prestement aux différentes tables.
La silhouette entrée quelques instants auparavant lève lentement les mains vers le sommet de sa tête puis laisse tomber sa capuche. Un visage de jeune femme apparaît, dissimulé en partie par sa chevelure ébène. Ses traits sont fins et son teint très pâle. Ses yeux sont plissés, la lumière de la taverne contrastant avec l’obscurité naissante de l’extérieur. Elle inspecte rapidement les personnes qui l’entourent puis lève la main vers un employé de l’auberge qui vient prestement, un sourire nerveux se dessinant sur son visage.
La jeune femme lève la tête vers le serveur puis déplisse les yeux. Ces derniers sont étranges. Ils sont très clairs, presque blancs. Des cernes marquent son visage qui trahit une profonde fatigue. D’une voix faible, elle demande une liqueur à l’employé qui lui fait répéter aussitôt. La jeune femme réitère sa demande d’une voix plus forte, légèrement enrouée. L’homme hoche la tête et retourne vers le bar envahit de chopes plus ou moins remplies.
La jeune femme passe une main dans le vêtement qui recouvre son armure et sort quelques feuillets écornés, jaunis par le temps. Elle les feuillette en lisant certains passages puis soudain fronce les sourcils. Sa main repasse dans son vêtement. Un air profondément ennuyé peut se lire sur son visage.
« Il manque une page » murmure-t-elle pour elle-même.
Ses pensées se tournent alors vers ses dernières activités, vers les derniers lieux qu’elle a traversés. Elle secoue doucement la tête de dépit et serre le poing de rage contre elle-même. Une main sèche apparaît brusquement dans son champ de vision. Celle-ci dépose un petit verre contenant un liquide verdâtre et assez épais. La jeune femme dépose quelques pièces d’or devant elle en souriant nerveusement au serveur. Elle porte le verre à ses lèvres rouges qui contrastent avec la blancheur de son visage et vide la moitié du verre en une gorgée. Son visage grimace un instant sous l’effet de la brûlure provoquée par le tord boyaux puis reprend son air ennuyé.
Comment a-t-elle pu égarer ce témoignage de son passé oublié ? Elle ne comprend pas. La jeune femme a beau sonder sa mémoire, elle ne se rappelle pas. D’un geste rageur, elle saisit son verre et termine la forte liqueur d’un trait. Une rougeur apparaît sur ses pommettes, ses yeux deviennent sensiblement plus vitreux. Elle pose les coudes sur la table et appuie son front contre ses mains. La fatigue accumulée de ces dernières semaines mélangée à l’alcool lui donne la tête qui tourne. Sa vision se trouble. Elle ferme alors les yeux pour se reposer en mordillant nerveusement sa lèvre inférieure. Quelques instants après, elle ne bouge plus, ses muscles se relâchent, sa respiration ralentit, devient plus profonde.
L’aubergiste observe un moment cette femme inconnue qui semble dormir paisiblement au fond de son auberge. Puis, il hausse les épaules et continue de remplir ses pichets. Pourtant, si celui-ci avait observé plus attentivement, il aurait pu voir les traits contractés de la jeune femme dont les songes semblent particulièrement animés.
Hellion Obscure